vrijdag 4 december 2015

Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger 3.



Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger  sur
Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012




Commentaire 3                                           upd. 15.03- 2016


C’est sans doute entre autres cette densité structurelle extrème qui rélie les formes musicales de Machaut, Bach, Webern, Boulez, comme vous l’avez écrit dans votre chapitre 3:
Il s’agit des procédés musicales à peu près géométriques, des procédés de condensation, des élargissements, des renversements du matériel de base qui correspondent – c’est saillant- au processus de la psychanalyse freudienne nommé Primär Vorgang dans l’Interprétation des Rèves. La description théorique des philosophèmes d’Hélène Cixous considérante des aspects structurelles de son travail: des mouvements rotatifs, polycentriques, cycliques me faisait penser à une géométrie créative comparable, apte aux principes bouléziennes.
Mais ce n’est qu’une phantasie!
A propos Ariane Mnouschkine était, pendant mes années au Conseil Erasmianum, la seule femme au liste des candidates – sans avoir jamais obtenue le Prix. [la seule lauréat féminine dans “mes années” c’était Marion Gräfin Dönhoff, la Redactrice influente du journal Die Zeit] .

Le Cygne de Stéphane Mallarmé [alors vous amenez moi svp dans cette musée] m’est “apparu” tout au commencement de mes études en Musicologie, Utrecht 1968, lorsque le compositeur et théoréticien Rudolph Escher [qui suivait Pierre Boulez de tout près] nous a donné des lectures sur la génèse des Improvisations à ce temps. Cette poésie, cette musique avaient pour moi un caractère révélatrice. J’ai hésité beaucoup sur l’étude de musicologie à ce temps, - et j’ai quitté immédiatement les autres obligations de mes études de musicologie pour me pouvoir rétirer avec Penser la musique d’aujourd’hui.
Quelques années plus tard après ma rencontre avec Guillaume de Machaut, après des détours en philosophie et en l’iconologie du Moyen Age je suis revenu dans l ‘Institut, toujours fascinée par les isomorphies, les isorythmiques – isoméliques
,les hétérophoniques musicaux/textuelles.

C’était très particulier de recevoir ce texte de Mallarmé “blanche” superbe et si bien connu maintenant de vous dans le cadre de nos échanges, c’est un texte existentiel, unique. Merci! { vous écrivez:  siècle l’hiver; dans ma tête donc
: stérile hiver ] ? ligne alternative? 

Je vous pose une question quant aux méthodes postmodernes en rapport avec les grandes productions “sur la scène” avec Pierre Boulez comme chef d’orchestre : Abstraction faite des questions d’interprétations oui ou non liées aux connections éthiques qui nous venons de considérer en marge- [je veux dire: sans insister plus sur ces aspects] est-ce que vous voudriez considérer la rélation entre la musique et la mise en scène- changeante pendant beaucoup d’années comme une catégorie temporelle toujours dynamique – est-ce que vous voudriez interpréter cette relation aussi comme une intertextualité dans ce sens postmoderne?  Est-il possible [en sens méthodique/ terminologique]  de concevoir ces grands oeuvres comme le Ring ou Moses und Aron comme des complexes intertextuelles?
Je voudrais considérer ce terme dans le sens latin d’inter-texte, alors d’une diversité de “tissus”[de nature artistiques, et en fonction de l’oeuvre avec  toutes sortes de ses signifiants et signifiés – voilà la spécialité de J.J. Nattiez? dans sa totalité].

Dans ce cas on aura la disposition  des termes modernes et “synchrones”pour manier la représentation dans tous les détails.  Il faut accentuer cependant – naturellement – qu’ il serait la même chose avec des productions assez modieuses, par exemple les productions déconstruées de film et télévision des opéras de Mozart, sous la régie de Peter Sellars.
A mon avis la musicologie ne se sert pas comme elle se doit des termes méthodoligiques modernistes qui pourraient exprimer les divers aspects de la réprésentation totale, à une manière intégrale.

   Concernant ces rumeurs sur Pierre Boulez et son caractère “difficile”, - on voit certainement des traits très fort dans sa personne, son écriture. Il est pourtant un homme de caractère doux, très sympathique. Il me semble que le compositeur, sa musique mettent neanmoins des sentiments très violents, - des sentiments d’envie, d’irritation, et également de l’admiration de fascination.
Une situation comme ca, n’est elle pas symptomatique pour des personnes et des oeuvres de grandeur vraie?

Etty Mulder



Réflexions sur le commentaire 3

♪Quand vous évoquez l’importance de la rigueur structurelle dans les oeuvres de Machaut mais aussi de Bach de Schoenberg, Berg, Webern mais aussi bien sûr Boulez, cela me semble esentiel car c’est cette rigueur qui donne toute sa valeur à la création, j’y suis d’autant plus sensible que j’ai fait des études de mathématiques et de physique avant d’étudier la musicologie. Il me semble que cette dimension de “cohérence” est inhérente à la pensée boulézienne et c’est une force très efficace pour communiquer et être intelligible.

♪Je pense, comme vous, que la psychanalyse est une donnée essentielle pour comprendre bien des phénomènes de la création et de pensées humaines mais il y a en France une forme de rejet et de dévalorisation de l’apport freudien qui est manifeste. Michel Onfray a écrit un livre très négatif sur Freud. Cela n’empêche pas les personnes qui sont intéressées par cette oeuvre d’y faire référence. Il y a quelques années j’ai participé à un colloque sur l’inconscient en littérature et dans les arts organisé à Lille. J’avais choisi de parler d’Erwartung de Schoenberg, j’ai bien sûr analysé le texte de Marie Pappenheim et les relations de Schoenberg avec la psychanalyse ainsi que les commentaires d’Adorno à ce sujet, cela m’avait beaucoup intéressée.

♪À propos de l’écriture d’Hélène Cixous, il est évident qu’il y a une recherche et une spécificité de l’écriture qui est un apport fondamental pour la création féminine et féministe. C’est un problème en France, je ne sais pas si cela existe en Hollande, ici, le milieu musicologique est particulièrement misogyne.

♪Vous avez eu un parcours passionnant, c’est magnifique de s’enthousiasmer pour des domaines aussi différents et d’adhérer au texte de Boulez “Penser la musique aujourd’hui”.

♪Oui, cela m’a beaucoup plu d’écrire le texte de Mallarmé, il y a peut-être une erreur, je rentre le 31 août chez moi et je pourrai vérifier sur l’exemplaire de la Pléiade.

♪Votre question à propos des relations musique/mise en scène et la pensée postmoderne me semble très pertinente, en effet, il y a dans l’esthétique postmoderne, le principe du collage et des multiples références au passé, on trouve tout cela extrêmement présent chez les metteurs en scène actuels. Vous avez tout à fait raison, il y a l’introduction de nombreux signifiants et signifiés, ce que Roland Barthes nommerait le para-texte qui s’ajoute à l’oeuvre initiale. J’ai vu récemment une retransmission à la télévision de la mise en scène de Parsifal par Stefan Herheim pour le Festival de Bayreuth, c’était trés intéressant de voir à quel point il a réussi à minorer l’importance de la messe chrétienne pour replacer cette oeuvre dans le contexte historique terrible de l’Allemagne.
Il me semble d’ailleurs que Chéreau pour le Ring puis Stein pour Moses ont été obligés de constituer un appareil critique avant de mettre en scène, d’élaborer ainsi un complexe intertextuel comme vous l’écrivez. (La spécialité de Jean-Jacques Nattiez est bien la sémiologie appliquée à la musique. Sa thèse qu’il a publiée ensuite chez Bourgois fut un grand apport dans ce domaine. Il est aussi très lié à Jean Molino et tous deux prônent la théorie de la tripartition).

♪Il est sûr que la musicologie, au moins Française dont je peux parler, utilise très peu les concepts postmodernes et reste relativement en vase clos parce que les musicologues ne s’intéressent que parcimonieusement à la philosophie, à l’évolution des arts de la peinture et aussi à la littérature, ils privilégient l’analyse technique musicale mais si cette analyse n’est pas suivie d’interprétations et de conclusions esthétiques ou philosophiques cela reste stérile, il me semble.

♪ À propos de l’image de Boulez dans le public, je pense qu’il a beaucoup souffert des medias, son entretien dans Der Spiegel “Il faut brûler les maisons d’opéra” en est un exemple fameux. Il a eu aussi le courage de dire ce qu’il pensait et c’est plutôt rare en général parmi les responsables d’institutions et les compositeurs. Je pense qu’il avait toujours tout à fait raison dans sa façon de voir les choses mais on pardonne difficilement aux gens qui soulignent les dysfonctionnements. Et puis, il y a aussi la jalousie que sa stature internationale de chef d’orchestre et de compositeur a suscitée. Les artistes pardonnent difficilement la réussite.

Catherine Steinegger
  


donderdag 3 december 2015

Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger 2.



Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger  
sur Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012

Commentaire  2                                                                  upd. 15. 03- 2016


Il est bien évident en effet  que les liens avec l’avant garde de Pierre Boulez sont formés par une volonté vraiment vitale, existentielle et  profonde. On pourrait conclure: cet engagement si fort  fait la preuve elle- même de la responsabilté que Pierre Boulez éprouvre dans sa position d’artiste dans la société moderne. Même s’il refût à prendre position pour la scène en totalité de laquelle il fait partie, et se taît, nous pouvons accepter cette intégrité artistique si convainquante [et ne lui demander plus].  

Vous disez: ‘Il accorde à la mise en scène le même statut qu’importe quel art.’ Je pense: il était bien sûr le premier et le seul qui pensait comme ca. Nous savons  que- aujourd’hui- dans l’art moderniste c’est devenu plus normal. Peut être il n’y a q’un seul statut de base sur la scène. On ne peut pas continuer à séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk ou le Musikdrama et ces dérivants plus récents y compris certains filmes [de penser par exemple à l’oeuvre de Tarkovski]. 

Les oeuvres qui passent dans votre livre prescrivent à peu près tous une identification extrême des images, des mises en scènes et de la musique. Cette situation demande une direction d’union très solide.
Il est presque toujours le metteur en scène qui est décisif “pour les provocations”. Mais le chef d’orchestre, dirigeant tout narratif aussi-non-verbal est son complice étroit.
 “Normalement” Il ne serait  pas du tout insolite de faire des reproches à un artiste  collaborant sur la scène  qui ne veut pas s’exprimer “ de principe” sur le travail qu’il fait là avec ses copains interdiscipliaires. Chez Boulez – souvent- c’est autre chose, me semble-t-il : C’est lui qui  nous offre une musique magnifique et supérieure “qui exprime tout” … . Il est pardonné ? On ne peut pas éviter ces contradictions du monde Boulezien.
On a affaire d’un monde dans lequel sont logé’s des éléments controversiels et inexplicables, symptomes de la vraie grandeur. On peut penser qu’on est obligé de “sauver” la grandeur, je pense.

Dans vos passages sur la réception du Ring vous référez à Jean-Jacques Nattiez concernant des concepts “morales” qui’il mentionne dans les mots infidélité [à l’histoire de l’intérpretation du Ring], et trahison [de la tradition du Ring, de Wagner]  de Boulez et Chéreau [p.297].  Avec ces mots on est arrivé, me semble-t-il,  à un domaine de transition qui mène de l’esthetique à l’éthique. Je crois qu’on ne peut pas passer cet aspect de la moralité, qui semble d’émerger ici soudain dans le discours, soit-il pas par hasard dans ce contexte du Ring qui le provoque.
[je vais élaborer un peu cette sentence et votre p.297, la prochaine].

Cettes observations  de Nattiez qui thématise  la possibilité  que l’art soit une mensonge ou une trahison nous portent à l’Adorno de Dialektik der Aufklärung et son concept de l’art comme le seul moyen de communication de la vérité:[ en usant  les mots Wahrheitsanspruch der Kunst. Prétention de la vérité de l’art.]. Vous citez ce paragraphe intitulé La mise en scène contre le texte. Nattiez conclût “’ils ont bien fait”. 
Voilà  un complex de significations et de jugements assez lourd. Connaissante de l’oeuvre   de Jean Jaques Nattiez* je voudrais vous demander si vous savez en quel mesure il a pensé a Adorno, écrivant tout ca?.
Aussi je me demande si Pierre Boulez lui même, concernant la réception du Ring avrait pensé à l’Adorno du Dialectique..

Relisant cette notation,  je vois surtout une répétition de ma propre ambivalence face à Pierre Boulez [pas la votre!] concernant la position “verbale”qu’il prend ou prend pas. Sa "naïveté", son "opportunisme"; de ma part une sorte de blasphémie. .

Etty Mulder

-- Quelle joie de voir mes deux favorites [ si divers…]  Laure Adler et
Theodor Adorno  au haut bout de votre liste de noms.

Réflexions sur commentaire 2: 
À propos de l’avant-garde, il me semble, et Boulez l’a souvent répété, qu’il y avait nécessité pour sa génération qui avait 20 ans en 1945 de rompre avec ce qu’il y avait pendant la guerre d’un point de vue artistique et imposer une nouvelle musique avec de nouveaux compositeurs tous très jeunes . Bizarrement, après une telle période si tragique, ce n’était pas un problème d’éthique ou de morale mais un problème artistique. Il me semble qu’il n’y a pas la même perception de la Shoah en France et aux Pays Bas. Il y a eu en France un grand nombre de citoyens français non juifs et  non politisés qui ont accepté l’occupation nazie. Il n’y a pas la même sensibilité. Aux Pays-Bas, il y a eu le récit d’Anne Frank et peut-être une plus grande compassion pour les Juifs; En France, c’étaient les gendarmes français qui allaient arrêter les Juifs pour les envoyer ensuite dans les camps de concentration. Pour la majorité de la population française, il y a un détachement pour ce qui s’est passé à cette époque là. Pierre Boulez avait 15 ans en 1940, il aurait pu entrer dans la Résistance mais lors d’un entretien, il a répondu qu’il ne connaissait personne à ce moment là et qu’il n’avait pas pensé s’engager. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a étudié au Conservatoire de Paris où Messiaen enseignait et s’est comporté comme de nombreux Français. Je pense qu’il a un détachement pour tout ce qui est politique. Il me semble que pour Boulez, le seul combat qui soit valable c’est celui de la musique, quand vous écrivez “nous pouvons accepter cette intégrité artistique si convainquante et ne pas lui en demander plus”,  je pense que pour lui, il n’est pas question de lui en demander plus.

Pour le deuxième point concernant l’interdisciplinarité vous écrivez :” on ne peut pas continuer à séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk ou le Musikdrama et ces dérivants plus récents y compris certains films (je pense par exemple à l’oeuvre de Tarkovski)”, je suis absolument persuadée que vous avez raison, c’est pour cela que mes sujets de recherche sont pluridisciplinaires mais je suis une exception. C’est peut-être différent en dehors de la France mais ici il y a une grande spécialisation des domaines dans le milieu universitaire mais aussi parmi les critiques d’art. Dans le milieu universitaire rares sont les spécialistes de l’opéra qui connaissent bien le cinéma et pourraient parler de Tarkovski ou de la théorie de la mise en scène. Ils sont capables d’analyser d’un point de vue technique la forme, les accords, de replacer dans l’histoire de la musique mais souvent ne s’intéressent pas à la mise en scène. C’est pour cela que le point de vue de Pierre Boulez soutenant la mise en scène de Chéreau pour Lulu a été si mal compris par exemple par Dominique Jameux cf. le passage sur Lulu dans mon livre.. 

À propos de la solidarité de Pierre Boulez avec les metteurs en scène et sa volonté de ne pas aller contre. Il a presque toujours soutenu publiquement les productions auxquelles il participait et s’est battu contre les opposants à la mise en scène de Chéreau pour le Ring, même si vous avez raison de souligner que les provocations viennent souvent du metteur en scène, il a pour Wagner et Debussy été contre la tradition d’interprétation musicale en allégeant l’orchestre dans le Ring, on lui a reproché de transformer l’orchestre wagnérien en musique de chambre. Il le faisait pour rendre intelligible le texte mais aussi pour donner une nouvelle image sonore de cette oeuvre grandiose. Au contraire dans Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, avec la mise en scène de Peter Stein, il a pris l’option d’alourdir l’orchestre, de lui donner plus d’ampleur que la pratique habituelle. Donc, non seulement  il dirige avec une précision rare mais en plus il a des partis pris musicaux qui peuvent choquer les critiques autant que la mise en scène.  

Oui, j’ai été tres intéressée en écrivant mon livre par ces notions de fidélité ou de trahison,énoncées par Jean-Jacques Nattiez, il m’a semblé que cela posait bien le problème de la possibilité d’acceptation d’une mise en scène et par l’exclusion entre deux moyens d’expression opéra d’une part et théâtre d’autre part.. Vous avez tout à fait  raison, ces notions mènent de l’esthétique à l’éthique et ce n’est pas un hasard si ce problème appraît de façon particulièrement violente pour le Ring. À propos de Jean-Jacques Nattiez et de sa mise en évidence d’une mise en scène contre le texte, pour avoir eu des discussions à ce propos avec lui, il ne fait pas du tout référence à Adorno quand il écrit cela. Il s’insurgeait d’ailleurs contre l’influence excessive, selon lui d’Adorno sur les écrits des universitaires francophones. Pour lui, il y a eu une “mode Adorno” qui a prévalu à une époque dans les travaux universitaires imposant une grille de lecture “marxiste” qu’il trouvait démodée. Il s’est fait connaître en France et au Canada où il réside grâce à ses travaux de sémiologie appliqués à la musique. Concernant Boulez et Adorno, la situation est différente. Boulez a connu Adorno et a eu un entretien à la radio avec ce dernier, il lui a commandé un article pour le numéro des Cahiers Renaud-Barrault célébant le dixième anniversaire du Domaine musical cf chapitre 3 de mon livre. Adorno avait connu Berg dont il était l’élève il avait aussi connu Schönberg, pour Boulez il était le lien de transition direct entre la Seconde Ecole de Vienne et lui. À propos du Ring, je pense que c’est plutôt Chéreau qui a pu être influencé par Adorno.

Pour conclure sur votre dernière réflexion, Pierre Boulez est tout sauf un artiste “naïf” mais peut-être ce mot a-t-il un autre sens pour vous, il n’est pas non plus, à mon sens un opportuniste, il est simplement un esprit très brillant qui a subjugué des nombreux politiques ou mécènes, il me semble que l’on peut dire qu’il est un intellectuel compositeur et chef d’orchestre passionné par la musique, qui a une très haute idée de ce que la musique “pure” doit représenter dans la société. Bien sûr, il a tout fait pour imposer son oeuvre et se faire connaître, mais quel artiste ne ferait pas de même ? Je pense que son absence de “position verbale” sur certains sujets est voulue, il ne veut pas s’afficher ni être catalogué d’un point de vue politique ou autre, il veut laisser d’abord et avant tout à la postérité son oeuvre et ses enregistrements ainsi que son action particulièrement efficace pour la musique contemporaine.

Catherine Steinegger

P. S : je suis contente que la présence de Laure Adler et d’Adorno au début de ma liste de nom vous plaise, j’apprécie aussi beaucoup ces deux auteurs pour Laure Adler,son ouvrage sur Hannah Arendt et pour Adorno l’ensemble de ses écrits.   

      
  





Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger



Prix des muses pour Catherine Steinegger  1213

Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger  1.
sur Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012

Commentaire 1    07.07-2012                                                                      [update 15.03-2015]

Votre livre traite des grandes mises en scène modernistes dans lesquelles Pierre Boulez a joué un rôle important comme chef d’orchestre ainsi que compositeur.
Voilà que vous mettez en jeu une rélation assez complexe entre Pierre Boulez et l’idéologie changeante du théâtre au vingtième siècle, faisant état des mythes dans les développements politiques actuels soit de divers narratifs philosophiques et religieux.
Ces oeuvres modernistes ne traitent seulement des actions mais aussi, en sens historique et éthique de leur raison d’être même dans l’actualité culturelle. Les artistes collaborants dans ces productions modernistes se sont chargé’s d’ une responsabilité’s de se justifier pour ses interprétations “contre la tradition”.
      Vous avez écrit sur la réaction taciturne de Pierre Boulez à la mise en scène controversielle de Parsifal  de Christoph Schlingensief: “il [PB] a pour principe éthique de ne pas dire du mal des personnes con lesquelles il collabore .Cette situation contraste radicalement avec les célébrations du Centenaire du Ring, en 1976, lorsque Pierre Boulez était associé à Patrice Chéreau pour répondre aux protestations “.[p.278] On peut constater en effet que Pierre Boulez en géneral n’a pas d’ habitude de s’exprimer en détail sur les choix qui sont faits dans ces grandes mises en scènes dont il a fait partie comme chef d’orchestre.

Après l’exécution de La Maison des Mortes [juin 2007] à Amsterdam, j’ai eu un bref échange de vues avec Pierre Boulez sur la mise en scène. Vous écrivez: “Comme l’exprime  le décor de Richard Peduzzi à géometrie variable nous avons affaire à une eprison intemporelle qui est à la fois le Goulag et tous les camps du XXe siècle qui peut devenir presque abstrait.
Je me rapelle comment- exactement pendant les jours là-  nous avions au Pays  Bas une confrontation violente [qui a été intitulée dans les media comme “razzia”] des personnes “illégales” avec la police. Cette confrontation provoquait une sorte de “flash back” très émotionnelle dans la polulation d’Amsterdam aux déportations des juifs.
Pendant l’exécution de l’opéra de Janácek mes companes et moi ont discuté l’”impossibilité” d’ être assis dans la pluche rouge du théâtre vis an vis de ce lieu enscéné d’un camp abstrait, à peu près littéralement au coin du prison actuel des personnes illégales d’aujourd’hui chez nous. J’ai raconté à Pierre Boulez de cette gêne. Ce jour, comme il a ses opérations d’ oeil aussi aujourd’hui il  venait d’avoir une chirgurgie, il portait des lunettes contre le soleil pendant le déjeuner, et moi en face de lui ne pouvait pas voir ses yeux, [un peu comme cette photographie à la couverture de votre livre – homme beau, avec masque, énigmatique- ]. Il n’a pas réagi, il me semblait seulement un peu étonné.
Dans ce  contexte j’ ai aussi référé à Pierre Boulez la loi iconoclaste, imposé par Claude Lanzmann dans  son oeuvre cinématographique Shoah [1985] sur la mémoire des camps: [ne pas utiliser aucune image ou document historique]  ainsi que les solutions impressives de Peter Stein concernant le tabou de l’image dans Moses und Aron, réalisée avec sa [PB] contribution magistrale orchestrale.
J’ai voulu lui référer ces deux thèmes comme des stades irreversibles dans le travail de mémoire psychanalytique et comme une “datation” de l’imagerie littérale du traumatisme. J’avais l’impression que tout ca ne lui regardait pas aus sens vrai.
Il m’a répondu qu’à son avis toute sorte de référence  soit réprésentation des camps concentrationnaires à la scène serait “utile”… sans plus.
      Quelle est votre opinion sur cette  position réservée que prend  Pierre Boulez  face à ces aspects délicates des mises en scène?. Pensez vous qu’il veut séparer par cela l’acte théàtrale de la musique?. Ne se sent-il- pas responsable comme musicien?

.                   J’étais vraiment touché de lire dans votre livre la  passage sur l’importance de la choréographie du Sacre de Printemps de Pina Bausch. On ne peut pas assez soulinier la signification magistrale de cette oeuvre.
Vous avez totalement raison de mentionner  l’actualité du mythe de la culture patriarchale dans la Danse Sacrale de Pina Bausch. En effet la comparison avec Béjart donne beaucoup à penser. Je me rapelle d’avoir vu un vidéo [ qui je ne retrouve plus] avec PB et quelques copains viewing la danse sacrale  de Béjart, et spécialement les passages du fin. En particulier je me souviens la réaction de Pierre Boulez en regard de la fin.  A ce moment de la copula-collective  Boulez, encore jeune et aigu, exclame [je le circumscribe]:”voilà qu’il en a fait, tout ca n’a rien a faire avec la mort!. C’est l’amour qu’íl en a fait”. Il voulait dire : au fond cela est une interprétation incorrecte!
Pendant les années j’ai présenté l’interprétation de Pina Bausch, me dirigant sur sa solution géniale pour la fin du Sacre “solution pour l’impossibilité” d’exprimer la force et la violence de cette musique dans la force corporelle humaine. Ce que mène, presque toujours dans les choréographies [aussi chez Béjart} à l’accumulation comme fenomène [masculine]  en soi  .Pina Bausch au contraire fait arrêter  graduellement cette accumulation de son et de mouvements. Elle fait séparer des significations contraires des crescendo de la musique et de la danse. La troupe de ballet s’arrête jusqu’au moment ou l’élue doit exécuter ce rituel toute seule dans la force corporelle limitée d’une seule personne – à la mort. Alors la violence de la musique et de la scène peuvent “parler pour eux-mêmes”. Vous avez raison de combiner votre remarque sur Le Sacre de Pina Bausch avec vos passages sur Barbe Bleu et les difficulté’s de collaboration plus tard entre PB et PB…..
Mais n’avait elle pas déja ‘plus tôt choisi “le track” de la régistration Boulezienne  avec le Cleveland Orchestra [1969] pour la présation la plus commune et fameuse de sa choréographie avec son Tanztheater ? Je crois qu’on la trouve toujours sur l’internet en plusieurs versions…
Peut- être Pierre Boulez a-t-il compris Pina Bausch trés bien regardant ce qu’elle faisait avec son registration aux années soixante-dix?. Avant Barbe Bleu? Peut-être il l’a compris sur des niveaus plus profonds qu’il était capable d’expliquer….

Etty Mulder

 Réflexions sur le commentaire 1
Il m’a semblé, quand j’ai fait mes recherches sur les mises en scène auxquelles Pierre Boulez a collaboré, qu’il n’y avait pas de chef d’orchestre contemporain qui se soit autant confronté à l’avant-garde des metteurs en scène et que ce fait n’était pas le fruit du hasard, des circonstances,  mais une volonté bien établie de collaborer avec des metteurs en scène qui avaient une “réflexion profonde ”  sur le fait de présenter leur vision de l’oeuvre. Aussi bien le choix des oeuvres fondamentales du répertoire lyrique contemporain que celui des metteurs en scène.

Il est en effet surprenant que Pierre Boulez qui a l’habitude de dire ce qu’il pense et est connu pour ses propos parfois provocateurs  soit.resté solidaire de tous les metteurs en scène avec lesquels il a collaboré, notamment Schlingensief . Pierre Boulez, même s’il ne semblait pas convaincu par cette mise en scène ne l’a pas exprimé. Il semble que deux raisons peuvent expliquer cette attitude  1) il pense que l’artiste doit être libre de s’exprimer et que chaque oeuvre est une proposition.  2) il accorde à la mise en scène le même statut que n’importe quel art et considère que l’art théâtral a une grande importance, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de chefs d’orchestre.
Votre récit à propos de l’opéra de Janacek De la Maison des morts est passionnant mais ne m’étonne pas. Quand j’ai eu un entretien avec P.B., il m’a dit qu’un temps juste après les événements de 1968, il avait eu l’idée d’écrire une pièce basée sur les slogans des étudiants pendant les manifestations puis, qu’il y avait renoncé parce que c’était “trop daté. Cette attitude est symptômatique, il y a une volonté des dépasser les contigences de la politique ou des problèmes sociaux pour arriver à construire une oeuvre de musique “intemporelle”, dégagée du contexte politique d’une époque. Son manque de réaction quand vous lui avez parlé de Shoah de Claude Lanzmann ne m’étonne pas non plus. Je pense que sa position “réservée” comme vous l’écrivez est fondamentale dans son parcours. J’ai l’impression, mais c’est une pensée très personnelle, que son oeuvre ( compositions) compte plus que tout et qu’il  est détaché par rapport aux tragédies de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il se méfie de tout ce qui est prise de position politique. C’est assez intéressant de voir qu’il a collaboré avec les gouvernements de droite ( conservateur) comme de gauche (progressiste) en France pour réussir à imposer  l’IRCAM, l’Ensemble Intecontemporain et la Cité de la musique à la Villette. Cela lui a d’ailleurs été reproché, je me souviens d’une réflexion de Jésus Aguila qui a écrit l’ouvrage sur le Domaine musical qui reprochait à Boulez de ne pas s’afficher comme un homme de gauche. La seule  prise de position politique de P.B., d’après ce que je sais , mais elle est de taille, c’est d’avoir signé le Manifeste des 121 en 1960 contre la guerre d’Algérie, contre l’attitude colonialiste de la France. Il fallait être courageux à l’époque pour le faire.  

 À propos de Pina Bausch et du Sacre du printemps je suis tout à fait d’accord avec vous, il est très clair qu’il y a une vision masculine (Béjart) et une vision féministe ( Bausch). Je pense que Pierre Boulez a été attiré par Pina Bausch parce qu’elle a créé une genre original et d’avant-garde à l’époque, le Tanztheater. Il me semble qu’il apprécie beaucoup la recherche d’un langage artistique original, mais il y a dans la genèse même de sa collaboration avec Pina Bausch pour Barbe-Bleue, un problème qui se révèlera important par la suite,  ce qu’il dit quand il lui propose de collaborer : il ne veut pas voir la musique découpée en morceaux , car un danseur passait des extraits sonores sur scène dans le ballet original. Cette utilisation de la musique de Bartok  choque Boulez, il le dit dans un entretien. Il me semble que Pierre Boulez connaissait ce qu’elle faisait dans les années soixante-dix et même plus tard il a, je pense, une réelle curiosité et il voulait tenter l’expérience, comme il l’a fait avec Bartabas, ce qui est étonnant dans son univers il a dit “qu’il n’avait pas l’âme animalière” mais l’univers de Bartabas l’intéresse, c’est exactement la même chose pour Pina Bausch, seulement la collaboration entre deux personnalités si affirmées n’est pas évidente, il me semble.

Catherine Steinegger .



[1] « Wagner, Boulez et la recherche de soi », entretien de Pierre Boulez avec Jean-Jacques Nattiez, in La Pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits, Goldman Jonathan, Nattiez Jean-Jacques, Nicolas François, Sampzon, éditions Delatour France, 2010, p.258.
[2] Pierre Boulez, « Barbe-Bleue, Pina Bausch et moi », Le Nouvel Observateur, n° 2348, du 5 novembre.