sur Pierre
Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice
Chéreau; Mardaga 2012
Commentaire 2 upd. 15. 03- 2016
Il est bien évident en effet que les liens avec l’avant garde de Pierre
Boulez sont formés par une volonté vraiment vitale, existentielle et profonde. On pourrait conclure: cet
engagement si fort fait la preuve elle-
même de la responsabilté que Pierre Boulez éprouvre dans sa position d’artiste
dans la société moderne. Même s’il refût à prendre position pour la scène en
totalité de laquelle il fait partie, et
se taît, nous pouvons accepter cette intégrité artistique si convainquante [et
ne lui demander plus].
Vous disez: ‘Il accorde à la mise en scène
le même statut qu’importe quel art.’ Je pense: il était bien sûr le premier et
le seul qui pensait comme ca. Nous savons
que- aujourd’hui- dans l’art moderniste c’est devenu plus normal. Peut
être il n’y a q’un seul statut de base sur la scène. On ne peut pas continuer à
séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une
interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk
ou le Musikdrama et ces dérivants
plus récents y compris certains filmes [de penser par exemple à l’oeuvre de
Tarkovski].
Les oeuvres qui passent dans votre livre prescrivent
à peu près tous une identification extrême des images, des mises en scènes et
de la musique. Cette situation demande une direction d’union très solide.
Il est presque toujours le metteur en scène
qui est décisif “pour les provocations”. Mais le chef d’orchestre, dirigeant
tout narratif aussi-non-verbal
est son complice étroit.
“Normalement”
Il ne serait pas du tout insolite de faire
des reproches à un artiste collaborant
sur la scène qui ne veut pas s’exprimer
“ de principe” sur le travail qu’il fait là avec ses copains interdiscipliaires.
Chez Boulez – souvent- c’est autre chose, me semble-t-il : C’est lui qui nous offre une musique magnifique et
supérieure “qui exprime tout” … . Il est pardonné ? On ne peut pas éviter ces
contradictions du monde Boulezien.
On a affaire d’un monde dans lequel sont
logé’s des éléments controversiels et inexplicables, symptomes de la vraie
grandeur. On peut penser qu’on est obligé de “sauver” la grandeur, je pense.
Dans vos passages sur la réception du Ring
vous référez à Jean-Jacques Nattiez concernant des concepts “morales” qui’il
mentionne dans les mots infidélité [à
l’histoire de l’intérpretation du Ring], et trahison
[de la tradition du Ring, de Wagner] de
Boulez et Chéreau [p.297]. Avec ces mots
on est arrivé, me semble-t-il, à un
domaine de transition qui mène de l’esthetique à l’éthique. Je crois qu’on ne
peut pas passer cet aspect de la moralité, qui semble d’émerger ici soudain
dans le discours, soit-il pas par hasard dans ce contexte du Ring qui le
provoque.
[je vais élaborer un peu cette sentence et
votre p.297, la prochaine].
Cettes observations de Nattiez qui thématise la possibilité que l’art soit une mensonge ou une trahison nous
portent à l’Adorno de Dialektik der
Aufklärung et son concept de l’art comme le seul moyen de communication de
la vérité:[ en usant les mots Wahrheitsanspruch der Kunst. Prétention
de la vérité de l’art.]. Vous citez ce paragraphe intitulé La mise en scène contre le texte. Nattiez conclût “’ils ont bien
fait”.
Voilà un complex de significations et de jugements
assez lourd. Connaissante de l’oeuvre
de Jean Jaques Nattiez* je voudrais vous demander si vous savez en quel
mesure il a pensé a Adorno, écrivant tout ca?.
Aussi je me demande si Pierre Boulez lui
même, concernant la réception du Ring avrait pensé à l’Adorno du Dialectique..
Relisant cette notation, je vois surtout une
répétition de ma propre ambivalence face à Pierre Boulez [pas la votre!]
concernant la position “verbale”qu’il prend ou prend pas. Sa "naïveté", son "opportunisme"; de ma part une sorte de blasphémie. .
Etty Mulder
-- Quelle joie de voir mes deux favorites [ si divers…] Laure Adler et
Theodor Adorno au haut bout de votre liste de noms.
Réflexions sur
commentaire 2:
♪ À propos de
l’avant-garde, il me semble, et Boulez l’a souvent répété, qu’il y avait
nécessité pour sa génération qui avait 20 ans en 1945 de rompre avec ce qu’il y
avait pendant la guerre d’un point de vue artistique et imposer une nouvelle
musique avec de nouveaux compositeurs tous très jeunes . Bizarrement, après une
telle période si tragique, ce n’était pas un problème d’éthique ou de morale mais
un problème artistique. Il me semble qu’il n’y a pas la même perception de la
Shoah en France et aux Pays Bas. Il y a eu en France un grand nombre de
citoyens français non juifs et non
politisés qui ont accepté l’occupation nazie. Il n’y a pas la même sensibilité.
Aux Pays-Bas, il y a eu le récit d’Anne Frank et peut-être une plus grande
compassion pour les Juifs; En France, c’étaient les gendarmes français qui
allaient arrêter les Juifs pour les envoyer ensuite dans les camps de
concentration. Pour la majorité de la population française, il y a un
détachement pour ce qui s’est passé à cette époque là. Pierre Boulez avait 15
ans en 1940, il aurait pu entrer dans la Résistance mais lors d’un entretien, il
a répondu qu’il ne connaissait personne à ce moment là et qu’il n’avait pas
pensé s’engager. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a étudié au
Conservatoire de Paris où Messiaen enseignait et s’est comporté comme de
nombreux Français. Je pense qu’il a un détachement pour tout ce qui est
politique. Il me semble que pour Boulez, le seul combat qui soit valable c’est
celui de la musique, quand vous écrivez “nous pouvons accepter cette intégrité
artistique si convainquante et ne pas lui en demander plus”, je pense que pour lui, il n’est pas question
de lui en demander plus.
♪ Pour le deuxième
point concernant l’interdisciplinarité vous écrivez :” on ne peut pas continuer
à séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une
interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk
ou le Musikdrama et ces dérivants
plus récents y compris certains films (je pense par exemple à l’oeuvre de
Tarkovski)”, je suis absolument persuadée que vous avez raison, c’est pour cela
que mes sujets de recherche sont pluridisciplinaires mais je suis une
exception. C’est peut-être différent en dehors de la France mais ici il y a une
grande spécialisation des domaines dans le milieu universitaire mais aussi
parmi les critiques d’art. Dans le milieu universitaire rares sont les
spécialistes de l’opéra qui connaissent bien le cinéma et pourraient parler de
Tarkovski ou de la théorie de la mise en scène. Ils sont capables d’analyser
d’un point de vue technique la forme, les accords, de replacer dans l’histoire
de la musique mais souvent ne s’intéressent pas à la mise en scène. C’est pour
cela que le point de vue de Pierre Boulez soutenant la mise en scène de Chéreau
pour Lulu a été si mal compris par
exemple par Dominique Jameux cf. le passage sur Lulu dans mon livre..
♪ À propos de la
solidarité de Pierre Boulez avec les metteurs en scène et sa volonté de ne pas
aller contre. Il a presque toujours soutenu publiquement les productions
auxquelles il participait et s’est battu contre les opposants à la mise en
scène de Chéreau pour le Ring, même si vous avez raison de souligner que les
provocations viennent souvent du metteur en scène, il a pour Wagner et Debussy
été contre la tradition d’interprétation musicale en allégeant l’orchestre dans
le Ring, on lui a reproché de transformer l’orchestre wagnérien en musique de
chambre. Il le faisait pour rendre intelligible le texte mais aussi pour donner
une nouvelle image sonore de cette oeuvre grandiose. Au contraire dans Pelléas
et Mélisande de Claude Debussy, avec la mise en scène de Peter Stein, il a pris
l’option d’alourdir l’orchestre, de lui donner plus d’ampleur que la pratique
habituelle. Donc, non seulement il
dirige avec une précision rare mais en plus il a des partis pris musicaux qui
peuvent choquer les critiques autant que la mise en scène.
♪ Oui, j’ai été
tres intéressée en écrivant mon livre par ces notions de fidélité ou de
trahison,énoncées par Jean-Jacques Nattiez, il m’a semblé que cela posait bien
le problème de la possibilité d’acceptation d’une mise en scène et par
l’exclusion entre deux moyens d’expression opéra d’une part et théâtre d’autre
part.. Vous avez tout à fait raison, ces
notions mènent de l’esthétique à l’éthique et ce n’est pas un hasard si ce
problème appraît de façon particulièrement violente pour le Ring. À propos de Jean-Jacques
Nattiez et de sa mise en évidence d’une mise en scène contre le texte, pour
avoir eu des discussions à ce propos avec lui, il ne fait pas du tout référence
à Adorno quand il écrit cela. Il s’insurgeait d’ailleurs contre l’influence
excessive, selon lui d’Adorno sur les écrits des universitaires francophones.
Pour lui, il y a eu une “mode Adorno” qui a prévalu à une époque dans les
travaux universitaires imposant une grille de lecture “marxiste” qu’il trouvait
démodée. Il s’est fait connaître en France et au Canada où il réside grâce à
ses travaux de sémiologie appliqués à la musique. Concernant Boulez et Adorno,
la situation est différente. Boulez a connu Adorno et a eu un entretien à la
radio avec ce dernier, il lui a commandé un article pour le numéro des Cahiers
Renaud-Barrault célébant le dixième anniversaire du Domaine musical cf chapitre
3 de mon livre. Adorno avait connu Berg dont il était l’élève il avait aussi
connu Schönberg, pour Boulez il était le lien de transition direct entre la Seconde
Ecole de Vienne et lui. À propos du Ring, je pense que c’est plutôt Chéreau qui
a pu être influencé par Adorno.
♪ Pour conclure
sur votre dernière réflexion, Pierre Boulez est tout sauf un artiste “naïf”
mais peut-être ce mot a-t-il un autre sens pour vous, il n’est pas non plus, à
mon sens un opportuniste, il est simplement un esprit très brillant qui a
subjugué des nombreux politiques ou mécènes, il me semble que l’on peut dire
qu’il est un intellectuel compositeur et chef d’orchestre passionné par la
musique, qui a une très haute idée de ce que la musique “pure” doit représenter
dans la société. Bien sûr, il a tout fait pour imposer son oeuvre et se faire
connaître, mais quel artiste ne ferait pas de même ? Je pense que son absence
de “position verbale” sur certains sujets est voulue, il ne veut pas s’afficher
ni être catalogué d’un point de vue politique ou autre, il veut laisser d’abord
et avant tout à la postérité son oeuvre et ses enregistrements ainsi que son
action particulièrement efficace pour la musique contemporaine.
Catherine Steinegger
P. S : je suis contente que la présence de
Laure Adler et d’Adorno au début de ma liste de nom vous plaise, j’apprécie
aussi beaucoup ces deux auteurs pour Laure Adler,son ouvrage sur Hannah Arendt
et pour Adorno l’ensemble de ses écrits.
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