donderdag 3 december 2015

Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger 2.



Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger  
sur Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012

Commentaire  2                                                                  upd. 15. 03- 2016


Il est bien évident en effet  que les liens avec l’avant garde de Pierre Boulez sont formés par une volonté vraiment vitale, existentielle et  profonde. On pourrait conclure: cet engagement si fort  fait la preuve elle- même de la responsabilté que Pierre Boulez éprouvre dans sa position d’artiste dans la société moderne. Même s’il refût à prendre position pour la scène en totalité de laquelle il fait partie, et se taît, nous pouvons accepter cette intégrité artistique si convainquante [et ne lui demander plus].  

Vous disez: ‘Il accorde à la mise en scène le même statut qu’importe quel art.’ Je pense: il était bien sûr le premier et le seul qui pensait comme ca. Nous savons  que- aujourd’hui- dans l’art moderniste c’est devenu plus normal. Peut être il n’y a q’un seul statut de base sur la scène. On ne peut pas continuer à séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk ou le Musikdrama et ces dérivants plus récents y compris certains filmes [de penser par exemple à l’oeuvre de Tarkovski]. 

Les oeuvres qui passent dans votre livre prescrivent à peu près tous une identification extrême des images, des mises en scènes et de la musique. Cette situation demande une direction d’union très solide.
Il est presque toujours le metteur en scène qui est décisif “pour les provocations”. Mais le chef d’orchestre, dirigeant tout narratif aussi-non-verbal est son complice étroit.
 “Normalement” Il ne serait  pas du tout insolite de faire des reproches à un artiste  collaborant sur la scène  qui ne veut pas s’exprimer “ de principe” sur le travail qu’il fait là avec ses copains interdiscipliaires. Chez Boulez – souvent- c’est autre chose, me semble-t-il : C’est lui qui  nous offre une musique magnifique et supérieure “qui exprime tout” … . Il est pardonné ? On ne peut pas éviter ces contradictions du monde Boulezien.
On a affaire d’un monde dans lequel sont logé’s des éléments controversiels et inexplicables, symptomes de la vraie grandeur. On peut penser qu’on est obligé de “sauver” la grandeur, je pense.

Dans vos passages sur la réception du Ring vous référez à Jean-Jacques Nattiez concernant des concepts “morales” qui’il mentionne dans les mots infidélité [à l’histoire de l’intérpretation du Ring], et trahison [de la tradition du Ring, de Wagner]  de Boulez et Chéreau [p.297].  Avec ces mots on est arrivé, me semble-t-il,  à un domaine de transition qui mène de l’esthetique à l’éthique. Je crois qu’on ne peut pas passer cet aspect de la moralité, qui semble d’émerger ici soudain dans le discours, soit-il pas par hasard dans ce contexte du Ring qui le provoque.
[je vais élaborer un peu cette sentence et votre p.297, la prochaine].

Cettes observations  de Nattiez qui thématise  la possibilité  que l’art soit une mensonge ou une trahison nous portent à l’Adorno de Dialektik der Aufklärung et son concept de l’art comme le seul moyen de communication de la vérité:[ en usant  les mots Wahrheitsanspruch der Kunst. Prétention de la vérité de l’art.]. Vous citez ce paragraphe intitulé La mise en scène contre le texte. Nattiez conclût “’ils ont bien fait”. 
Voilà  un complex de significations et de jugements assez lourd. Connaissante de l’oeuvre   de Jean Jaques Nattiez* je voudrais vous demander si vous savez en quel mesure il a pensé a Adorno, écrivant tout ca?.
Aussi je me demande si Pierre Boulez lui même, concernant la réception du Ring avrait pensé à l’Adorno du Dialectique..

Relisant cette notation,  je vois surtout une répétition de ma propre ambivalence face à Pierre Boulez [pas la votre!] concernant la position “verbale”qu’il prend ou prend pas. Sa "naïveté", son "opportunisme"; de ma part une sorte de blasphémie. .

Etty Mulder

-- Quelle joie de voir mes deux favorites [ si divers…]  Laure Adler et
Theodor Adorno  au haut bout de votre liste de noms.

Réflexions sur commentaire 2: 
À propos de l’avant-garde, il me semble, et Boulez l’a souvent répété, qu’il y avait nécessité pour sa génération qui avait 20 ans en 1945 de rompre avec ce qu’il y avait pendant la guerre d’un point de vue artistique et imposer une nouvelle musique avec de nouveaux compositeurs tous très jeunes . Bizarrement, après une telle période si tragique, ce n’était pas un problème d’éthique ou de morale mais un problème artistique. Il me semble qu’il n’y a pas la même perception de la Shoah en France et aux Pays Bas. Il y a eu en France un grand nombre de citoyens français non juifs et  non politisés qui ont accepté l’occupation nazie. Il n’y a pas la même sensibilité. Aux Pays-Bas, il y a eu le récit d’Anne Frank et peut-être une plus grande compassion pour les Juifs; En France, c’étaient les gendarmes français qui allaient arrêter les Juifs pour les envoyer ensuite dans les camps de concentration. Pour la majorité de la population française, il y a un détachement pour ce qui s’est passé à cette époque là. Pierre Boulez avait 15 ans en 1940, il aurait pu entrer dans la Résistance mais lors d’un entretien, il a répondu qu’il ne connaissait personne à ce moment là et qu’il n’avait pas pensé s’engager. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a étudié au Conservatoire de Paris où Messiaen enseignait et s’est comporté comme de nombreux Français. Je pense qu’il a un détachement pour tout ce qui est politique. Il me semble que pour Boulez, le seul combat qui soit valable c’est celui de la musique, quand vous écrivez “nous pouvons accepter cette intégrité artistique si convainquante et ne pas lui en demander plus”,  je pense que pour lui, il n’est pas question de lui en demander plus.

Pour le deuxième point concernant l’interdisciplinarité vous écrivez :” on ne peut pas continuer à séparer les arts et les disciplines qui collaborent sur la scène dans une interprétation cohérente comme le Gesamtkunstwerk ou le Musikdrama et ces dérivants plus récents y compris certains films (je pense par exemple à l’oeuvre de Tarkovski)”, je suis absolument persuadée que vous avez raison, c’est pour cela que mes sujets de recherche sont pluridisciplinaires mais je suis une exception. C’est peut-être différent en dehors de la France mais ici il y a une grande spécialisation des domaines dans le milieu universitaire mais aussi parmi les critiques d’art. Dans le milieu universitaire rares sont les spécialistes de l’opéra qui connaissent bien le cinéma et pourraient parler de Tarkovski ou de la théorie de la mise en scène. Ils sont capables d’analyser d’un point de vue technique la forme, les accords, de replacer dans l’histoire de la musique mais souvent ne s’intéressent pas à la mise en scène. C’est pour cela que le point de vue de Pierre Boulez soutenant la mise en scène de Chéreau pour Lulu a été si mal compris par exemple par Dominique Jameux cf. le passage sur Lulu dans mon livre.. 

À propos de la solidarité de Pierre Boulez avec les metteurs en scène et sa volonté de ne pas aller contre. Il a presque toujours soutenu publiquement les productions auxquelles il participait et s’est battu contre les opposants à la mise en scène de Chéreau pour le Ring, même si vous avez raison de souligner que les provocations viennent souvent du metteur en scène, il a pour Wagner et Debussy été contre la tradition d’interprétation musicale en allégeant l’orchestre dans le Ring, on lui a reproché de transformer l’orchestre wagnérien en musique de chambre. Il le faisait pour rendre intelligible le texte mais aussi pour donner une nouvelle image sonore de cette oeuvre grandiose. Au contraire dans Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, avec la mise en scène de Peter Stein, il a pris l’option d’alourdir l’orchestre, de lui donner plus d’ampleur que la pratique habituelle. Donc, non seulement  il dirige avec une précision rare mais en plus il a des partis pris musicaux qui peuvent choquer les critiques autant que la mise en scène.  

Oui, j’ai été tres intéressée en écrivant mon livre par ces notions de fidélité ou de trahison,énoncées par Jean-Jacques Nattiez, il m’a semblé que cela posait bien le problème de la possibilité d’acceptation d’une mise en scène et par l’exclusion entre deux moyens d’expression opéra d’une part et théâtre d’autre part.. Vous avez tout à fait  raison, ces notions mènent de l’esthétique à l’éthique et ce n’est pas un hasard si ce problème appraît de façon particulièrement violente pour le Ring. À propos de Jean-Jacques Nattiez et de sa mise en évidence d’une mise en scène contre le texte, pour avoir eu des discussions à ce propos avec lui, il ne fait pas du tout référence à Adorno quand il écrit cela. Il s’insurgeait d’ailleurs contre l’influence excessive, selon lui d’Adorno sur les écrits des universitaires francophones. Pour lui, il y a eu une “mode Adorno” qui a prévalu à une époque dans les travaux universitaires imposant une grille de lecture “marxiste” qu’il trouvait démodée. Il s’est fait connaître en France et au Canada où il réside grâce à ses travaux de sémiologie appliqués à la musique. Concernant Boulez et Adorno, la situation est différente. Boulez a connu Adorno et a eu un entretien à la radio avec ce dernier, il lui a commandé un article pour le numéro des Cahiers Renaud-Barrault célébant le dixième anniversaire du Domaine musical cf chapitre 3 de mon livre. Adorno avait connu Berg dont il était l’élève il avait aussi connu Schönberg, pour Boulez il était le lien de transition direct entre la Seconde Ecole de Vienne et lui. À propos du Ring, je pense que c’est plutôt Chéreau qui a pu être influencé par Adorno.

Pour conclure sur votre dernière réflexion, Pierre Boulez est tout sauf un artiste “naïf” mais peut-être ce mot a-t-il un autre sens pour vous, il n’est pas non plus, à mon sens un opportuniste, il est simplement un esprit très brillant qui a subjugué des nombreux politiques ou mécènes, il me semble que l’on peut dire qu’il est un intellectuel compositeur et chef d’orchestre passionné par la musique, qui a une très haute idée de ce que la musique “pure” doit représenter dans la société. Bien sûr, il a tout fait pour imposer son oeuvre et se faire connaître, mais quel artiste ne ferait pas de même ? Je pense que son absence de “position verbale” sur certains sujets est voulue, il ne veut pas s’afficher ni être catalogué d’un point de vue politique ou autre, il veut laisser d’abord et avant tout à la postérité son oeuvre et ses enregistrements ainsi que son action particulièrement efficace pour la musique contemporaine.

Catherine Steinegger

P. S : je suis contente que la présence de Laure Adler et d’Adorno au début de ma liste de nom vous plaise, j’apprécie aussi beaucoup ces deux auteurs pour Laure Adler,son ouvrage sur Hannah Arendt et pour Adorno l’ensemble de ses écrits.   

      
  





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