vrijdag 14 september 2012

Catherine Steinegger: Pierre Boulez et le théâtre



Echanges de Etty Mulder et Catherine Steinegger  
sur Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012

Commentaire 1                                            juillet  2012

Votre livre traite des grandes mises en scène modernistes dans lesquelles Pierre Boulez a joué une rôle importante comme chef d’orchestre ainsi que compositeur.
Voilà que vous mettez en jeu une relation assez complexe entre Pierre Boulez et l’ idéologique changeante du théâtre au vingtième siècle. Ces oeuvres modernistes ne traitent pas seulement  des actions mais aussi, en sens historique et éthique de leur raison d’être même dans l’actualité culturelle. Les artistes collaborants dans ces productions modernistes se sont chargés de la responsabilité de se justifier pour ses interprétations “contre la tradition”.
      Vous avez écrit sur la réaction taciturne de Pierre Boulez à la mise en scène controversielle de Parsifal  de Christoph Schlingensief : “il [PB] a pour principe éthique de ne pas dire du mal des personnes con lesquelles il collabore. Cette situation contraste radicalement avec les célébrations du Centenaire du Ring, en 1976, lorsque Pierre Boulez était associé à Patrice Chéreau pour répondre aux protestations “.[p.278]  On peut constater en effet que Pierre Boulez en général n’a pas l’ habitude de s’exprimer  en détail sur les choix qui sont faits dans ces grandes  mises en scènes dont il a fait partie comme chef d’orchestre. Après l’exécution de La Maison des Mortes [juin 2007] à Amsterdam,  j’ai eu un bref échange de vues avec Pierre Boulez sur la mise en scène. Vous écrivez: “Comme l’exprime  le décor de Richard Peduzzi à géométrie variable nous avons affaire à une prison intemporelle qui est à la fois le Goulag et tous les camps du XXe siècle qui peut devenir presque abstrait. Dans ce  contexte j’ ai référé à Pierre Boulez la loi iconoclaste, imposé par Claude Lanzmann dans son oeuvre Shoah [1985] sur la mémoire des camps: [ne pas utiliser aucune image ou document historique]  ainsi que les solutions impressives de Peter Stein concernant le tabou de l’image dans Moses und Aron, réalisée avec sa [PB] contribution magistrale orchestrale. J’ai voulu lui référer à reformuler ces deux thèmes comme des stades irréversibles dans le travail de mémoire psychanalytique et comme une “datation” de l’imagerie littérale du traumatisme. J’avais l’impression que tout cela ne le regardait pas au sens vrai. Il m’a répondu qu’à son avis toute sorte de référence  soit représentation des camps concentrationnaires à la scène serait “utile”… Quelle est votre opinion sur cette  position réservée que prend  Pierre Boulez  face à ces aspects délicats des mises en scène? . Pensez-vous qu’il  veut séparer en cela l’acte théâtrale de la musique?. Ne se sent-il- pas responsable comme musicien?

J’étais vraiment touchée de lire dans votre livre le  passage sur l’importance de la chorégraphie du Sacre de Printemps de Pina Bausch. On ne peut pas souligner suffisamment la signification magistrale de cette oeuvre. Vous avez totalement raison de mentionner  l’actualité du mythe de la culture patriarcale dans la Danse Sacrale de Pina Bausch. En effet la comparaison avec Béjart donne beaucoup à penser. Je me rappelle avoir vu un vidéo [que je ne retrouve plus] avec PB et quelques copains viewing la danse sacrale de Béjart, et spécialement les passages de la fin. Je me souviens en particulier la réaction de Pierre Boulez sur la fin. Au moment de la copula-collective  Boulez, encore jeune et aigu, exclame:”voilà ce qu’il en a fait, ça n’a rien à voir avec la mort!. C’est de l’amour qu’il en a fait. C’est alors une interprétation fausse!”
Vous avez raison de combiner votre remarque sur Le Sacre de Pina Bausch avec vos passages sur Barbe Bleu et les difficultés de collaboration plus tard entre les deux PB's... 
Mais n’avait -elle pas déjà ‘plus tôt choisi “le track” de la régistration Boulezienne avec le Cleveland Orchestra [1969] pour la présentation la plus commune et fameuse de sa choréographie avec son Tanztheater ? 

Réflexions sur le commentaire 1

Il m’a semblé, quand j’ai fait mes recherches sur les mises en scène auxquelles Pierre Boulez a collaboré ( cf. chapitre 7 de mon livre) , qu’il n’y avait pas de chef d’orchestre contemporain qui se soit autant confronté, pendant cette période, aux metteurs en scène d’avant-garde et que cet état de fait n’était pas le fruit du hasard, mais correspondait à une volonté de collaborer avec des metteurs en scène ayant une réflexion personnelle et originale. Les implications de Pierre Boulez dans la direction d’orchestre à l’opéra, se caractérisent par le choix d’œuvres fondamentales du répertoire lyrique et de metteurs en scène emblématiques.
Il est en effet surprenant que Pierre Boulez, qui a l’habitude de dire ce qu’il pense, tout en étant connu pour ses propos parfois provocateurs, ait été solidaire de tous les metteurs en scène avec lesquels il a collaboré, notamment avec Christoph Schlingensief. Même si Pierre Boulez  ne semblait pas convaincu par sa mise en scène de Parsifal de 2005 à Bayreuth, il ne l’a pas exprimé dans la presse. C’est une forme d’éthique en faveur de tout créateur. Chaque œuvre, chaque mise en scène constitue  « une proposition  artistique ». Dans un entretien avec Jean-Jacques Nattiez, Pierre Boulez explique ainsi : « Et qu’est-ce que le théâtre ? Le théâtre c’est une proposition à un moment donné, mais qui n’implique pas un point de vue stylistique. C’est ça toute la différence. Tandis que la partition, elle, oblige à adopter un point de vue stylistique. C’est pour ça que je ne m’oppose jamais à un metteur en scène : il faut qu’il fasse travailler son imagination. »[1]  Pierre Boulez fut, dès sa jeunesse, confronté  à l’art théâtral comme directeur de la musique à la Compagnie Renaud-Barrault de 1946 à 1956, d’où son intérêt pour la mise en scène.
Concernant la résonnance que la représentation de l’opéra  de Leoš Janáček,  De la Maison des morts en juin 2007, pouvait susciter  concernant la Seconde Guerre mondiale, je pense qu’il y a une grande différence de perception de cette période en Hollande et en France. Il y a peut-être une sensibilité plus exacerbée aux Pays-Bas.
Á propos du passage de mon livre (chapitre 6) évoquant les chorégraphies du Sacre du printemps  d’Igor Stravinsky par  Maurice Béjart et Pina Bausch, il est clair que celle de Pina Bausch se distingue par son féminisme. Il me semble  que le genre très original (Tanztheater), créé par Pina Bausch ne pouvait qu’intéresser Pierre Boulez, curieux de tout langage scénique novateur. Il y a, dans la genèse même de sa collaboration avec Pina Bausch pour Barbe-Bleue de Béla Bartók pour le Festival d’Aix-en-Provence en 1998, un problème lié  au respect de l’intégrité de la création musicale. En effet, à propos de son ballet initial, Pierre Boulez expliquait ainsi : « Évidemment, ce qui me gênait, c’est la façon dont elle tronçonnait la musique à sa guise, reprenant plusieurs fois le même fragment, avec une puissance inouïe, certes, mais en recréant un tout autre thème que l’opéra. »[2]  Cette collaboration fut difficile pour Pina Bausch qui ne fut pas satisfaite du résultat et préférait son ballet créé en 1977.

Catherine Steinegger  

[1] « Wagner, Boulez et la recherche de soi », entretien de Pierre Boulez avec Jean-Jacques Nattiez, in La Pensée de Pierre Boulez à travers ses écrits, Goldman Jonathan, Nattiez Jean-Jacques, Nicolas François, Sampzon, éditions Delatour France, 2010, p.258.
[2] Pierre Boulez, « Barbe-Bleue, Pina Bausch et moi », Le Nouvel Observateur, n° 2348, du 5 novembre.