Echanges de Etty Mulder et
Catherine Steinegger sur
Pierre Boulez et
le théâtre. De la Compagnie
Renault Barrault à Patrice Chéreau; Mardaga 2012
Commentaire 3 upd.
15.03- 2016
C’est
sans doute entre autres cette densité structurelle extrème qui rélie les formes
musicales de Machaut, Bach, Webern, Boulez, comme vous l’avez écrit dans votre
chapitre 3:
Il
s’agit des procédés musicales à peu près géométriques, des procédés de
condensation, des élargissements, des renversements du matériel de base qui
correspondent – c’est saillant- au processus de la psychanalyse freudienne
nommé Primär Vorgang dans
l’Interprétation des Rèves. La description théorique des philosophèmes d’Hélène Cixous considérante des
aspects structurelles de son travail: des mouvements rotatifs, polycentriques,
cycliques me faisait penser à une géométrie créative comparable, apte aux
principes bouléziennes.
Mais
ce n’est qu’une phantasie!
A
propos Ariane Mnouschkine était, pendant mes années au Conseil Erasmianum, la
seule femme au liste des candidates – sans avoir jamais obtenue le Prix. [la
seule lauréat féminine dans “mes années” c’était Marion Gräfin Dönhoff, la
Redactrice influente du journal Die Zeit] .
Le
Cygne de Stéphane Mallarmé [alors vous amenez moi svp dans cette musée] m’est “apparu”
tout au commencement de mes études en Musicologie, Utrecht 1968, lorsque le
compositeur et théoréticien Rudolph Escher [qui suivait Pierre Boulez de tout
près] nous a donné des lectures sur la génèse des Improvisations à ce temps.
Cette poésie, cette musique avaient pour moi un caractère révélatrice. J’ai
hésité beaucoup sur l’étude de musicologie à ce temps, - et j’ai quitté
immédiatement les autres obligations de mes études de musicologie pour me pouvoir
rétirer avec Penser la musique
d’aujourd’hui.
Quelques
années plus tard après ma rencontre avec Guillaume de Machaut, après des
détours en philosophie et en l’iconologie du Moyen Age je suis revenu dans l
‘Institut, toujours fascinée par les isomorphies, les isorythmiques –
isoméliques
,les
hétérophoniques musicaux/textuelles.
C’était
très particulier de recevoir ce texte de Mallarmé “blanche” superbe et si bien
connu maintenant de vous dans le cadre de nos échanges, c’est un texte
existentiel, unique. Merci! { vous écrivez:
siècle l’hiver; dans ma tête donc
:
stérile hiver ] ? ligne alternative?
Je
vous pose une question quant aux méthodes postmodernes en rapport avec les
grandes productions “sur la scène” avec Pierre Boulez comme chef d’orchestre : Abstraction
faite des questions d’interprétations oui ou non liées aux connections éthiques
qui nous venons de considérer en marge- [je veux dire: sans insister plus sur
ces aspects] est-ce que vous voudriez considérer la rélation entre la musique et
la mise en scène- changeante pendant beaucoup d’années comme une catégorie
temporelle toujours dynamique – est-ce que vous voudriez interpréter cette
relation aussi comme une intertextualité dans ce sens postmoderne? Est-il possible [en sens méthodique/
terminologique] de concevoir ces grands
oeuvres comme le Ring ou Moses und Aron comme des complexes intertextuelles?
Je
voudrais considérer ce terme dans le sens latin d’inter-texte, alors d’une
diversité de “tissus”[de nature artistiques, et en fonction de l’oeuvre
avec toutes sortes de ses signifiants et
signifiés – voilà la spécialité de J.J. Nattiez? dans sa totalité].
Dans
ce cas on aura la disposition des termes
modernes et “synchrones”pour manier la représentation dans tous les
détails. Il faut accentuer cependant –
naturellement – qu’ il serait la même chose avec des productions assez
modieuses, par exemple les productions déconstruées de film et télévision des
opéras de Mozart, sous la régie de Peter Sellars.
A
mon avis la musicologie ne se sert pas comme elle se doit des termes
méthodoligiques modernistes qui pourraient exprimer les divers aspects de la
réprésentation totale, à une manière intégrale.
Concernant ces rumeurs sur Pierre Boulez et
son caractère “difficile”, - on voit certainement des traits très fort dans sa
personne, son écriture. Il est pourtant un homme de caractère doux, très
sympathique. Il me semble que le compositeur, sa musique mettent neanmoins des sentiments
très violents, - des sentiments d’envie, d’irritation, et également de
l’admiration de fascination.
Une
situation comme ca, n’est elle pas symptomatique pour des personnes et des
oeuvres de grandeur vraie?
Etty
Mulder
Réflexions
sur le commentaire 3
♪Quand
vous évoquez l’importance de la rigueur structurelle dans les oeuvres de
Machaut mais aussi de Bach de Schoenberg, Berg, Webern mais aussi bien sûr
Boulez, cela me semble esentiel car c’est cette rigueur qui donne toute sa
valeur à la création, j’y suis d’autant plus sensible que j’ai fait des études
de mathématiques et de physique avant d’étudier la musicologie. Il me semble
que cette dimension de “cohérence” est inhérente à la pensée boulézienne et
c’est une force très efficace pour communiquer et être intelligible.
♪Je
pense, comme vous, que la psychanalyse est une donnée essentielle pour
comprendre bien des phénomènes de la création et de pensées humaines mais il y
a en France une forme de rejet et de dévalorisation de l’apport freudien qui
est manifeste. Michel Onfray a écrit un livre très négatif sur Freud. Cela
n’empêche pas les personnes qui sont intéressées par cette oeuvre d’y faire
référence. Il y a quelques années j’ai participé à un colloque sur
l’inconscient en littérature et dans les arts organisé à Lille. J’avais choisi
de parler d’Erwartung de Schoenberg, j’ai bien sûr analysé le texte de Marie
Pappenheim et les relations de Schoenberg avec la psychanalyse ainsi que les
commentaires d’Adorno à ce sujet, cela m’avait beaucoup intéressée.
♪À
propos de l’écriture d’Hélène Cixous, il est évident qu’il y a une recherche et
une spécificité de l’écriture qui est un apport fondamental pour la création
féminine et féministe. C’est un problème en France, je ne sais pas si cela
existe en Hollande, ici, le milieu musicologique est particulièrement misogyne.
♪Vous
avez eu un parcours passionnant, c’est magnifique de s’enthousiasmer pour des
domaines aussi différents et d’adhérer au texte de Boulez “Penser la musique
aujourd’hui”.
♪Oui,
cela m’a beaucoup plu d’écrire le texte de Mallarmé, il y a peut-être une
erreur, je rentre le 31 août chez moi et je pourrai vérifier sur l’exemplaire
de la Pléiade.
♪Votre
question à propos des relations musique/mise en scène et la pensée postmoderne
me semble très pertinente, en effet, il y a dans l’esthétique postmoderne, le
principe du collage et des multiples références au passé, on trouve tout cela
extrêmement présent chez les metteurs en scène actuels. Vous avez tout à fait
raison, il y a l’introduction de nombreux signifiants et signifiés, ce que
Roland Barthes nommerait le para-texte qui s’ajoute à l’oeuvre initiale. J’ai
vu récemment une retransmission à la télévision de la mise en scène de Parsifal
par Stefan Herheim pour le Festival de Bayreuth, c’était trés intéressant de
voir à quel point il a réussi à minorer l’importance de la messe chrétienne
pour replacer cette oeuvre dans le contexte historique terrible de l’Allemagne.
Il
me semble d’ailleurs que Chéreau pour le Ring puis Stein pour Moses ont été obligés
de constituer un appareil critique avant de mettre en scène, d’élaborer ainsi
un complexe intertextuel comme vous l’écrivez. (La spécialité de Jean-Jacques
Nattiez est bien la sémiologie appliquée à la musique. Sa thèse qu’il a publiée
ensuite chez Bourgois fut un grand apport dans ce domaine. Il est aussi très
lié à Jean Molino et tous deux prônent la théorie de la tripartition).
♪Il
est sûr que la musicologie, au moins Française dont je peux parler, utilise
très peu les concepts postmodernes et reste relativement en vase clos parce que
les musicologues ne s’intéressent que parcimonieusement à la philosophie, à
l’évolution des arts de la peinture et aussi à la littérature, ils privilégient
l’analyse technique musicale mais si cette analyse n’est pas suivie
d’interprétations et de conclusions esthétiques ou philosophiques cela reste
stérile, il me semble.
♪ À
propos de l’image de Boulez dans le public, je pense qu’il a beaucoup souffert
des medias, son entretien dans Der Spiegel “Il faut brûler les maisons d’opéra”
en est un exemple fameux. Il a eu aussi le courage de dire ce qu’il pensait et
c’est plutôt rare en général parmi les responsables d’institutions et les
compositeurs. Je pense qu’il avait toujours tout à fait raison dans sa façon de
voir les choses mais on pardonne difficilement aux gens qui soulignent les
dysfonctionnements. Et puis, il y a aussi la jalousie que sa stature
internationale de chef d’orchestre et de compositeur a suscitée. Les artistes
pardonnent difficilement la réussite.
Catherine
Steinegger