Echanges de Etty Mulder et
Catherine Steinegger
sur Pierre Boulez et le théâtre. De la Compagnie Renault Barrault
à Patrice Chéreau; Mardaga 2012
Commentaire 1 juillet
2012
Votre livre traite des grandes mises en scène modernistes
dans lesquelles Pierre Boulez a joué une rôle importante comme chef d’orchestre
ainsi que compositeur.
Voilà que vous mettez en jeu une relation assez complexe
entre Pierre Boulez et l’ idéologique
changeante du théâtre au vingtième siècle.
Ces oeuvres modernistes ne traitent pas seulement des actions mais aussi, en sens historique et
éthique de leur raison d’être même dans l’actualité culturelle. Les artistes collaborants dans ces productions
modernistes se sont chargés de la responsabilité de se justifier pour ses
interprétations “contre la tradition”.
Vous avez
écrit sur la réaction taciturne de Pierre Boulez à la mise en scène
controversielle de Parsifal de Christoph
Schlingensief : “il [PB] a pour principe éthique de ne pas dire du mal des personnes con lesquelles
il collabore. Cette situation contraste radicalement avec les célébrations du
Centenaire du Ring, en 1976, lorsque Pierre Boulez était associé à Patrice
Chéreau pour répondre aux protestations “.[p.278] On peut constater en effet que Pierre Boulez
en général n’a pas l’ habitude de s’exprimer
en détail sur les choix qui sont faits dans ces grandes mises en scènes dont il a fait partie comme
chef d’orchestre. Après l’exécution de La
Maison des Mortes [juin 2007] à Amsterdam,
j’ai eu un bref échange de vues avec Pierre Boulez sur la mise en scène. Vous écrivez: “Comme l’exprime le décor de Richard Peduzzi à géométrie
variable nous avons affaire à une prison intemporelle qui est à la fois le
Goulag et tous les camps du XXe siècle qui peut devenir presque abstrait. Dans ce contexte
j’ ai référé à Pierre Boulez la loi iconoclaste, imposé
par Claude Lanzmann dans son oeuvre Shoah [1985] sur la
mémoire des camps: [ne pas utiliser aucune image ou document historique] ainsi que les solutions impressives de Peter
Stein concernant le tabou de l’image dans Moses und Aron, réalisée avec sa [PB] contribution
magistrale orchestrale. J’ai voulu lui référer à reformuler ces deux thèmes comme des stades irréversibles dans
le travail de mémoire psychanalytique et comme une “datation” de l’imagerie
littérale du traumatisme. J’avais
l’impression que tout cela ne le regardait pas au sens vrai. Il m’a répondu qu’à son avis toute sorte de
référence soit représentation des camps concentrationnaires à la scène serait “utile”… Quelle est votre opinion sur cette position réservée que prend Pierre Boulez
face à ces aspects délicats des mises en scène? . Pensez-vous qu’il
veut séparer en cela l’acte théâtrale de la musique?. Ne se sent-il- pas
responsable comme musicien?
J’étais vraiment touchée de lire dans votre livre le passage sur l’importance de la chorégraphie du Sacre de Printemps de Pina Bausch. On ne peut pas souligner suffisamment la signification magistrale de cette oeuvr
Vous avez raison de combiner votre remarque sur Le Sacre
de Pina Bausch avec vos passages sur Barbe Bleu et les difficultés de
collaboration plus tard entre les deux PB's...
Mais n’avait -elle pas déjà ‘plus tôt choisi “le
track” de la régistration Boulezienne avec le Cleveland Orchestra [1969] pour la présentation la plus commune
et fameuse de sa choréographie avec son Tanztheater ?
Réflexions sur le commentaire 1
Il m’a semblé, quand j’ai fait mes recherches sur les mises en scène
auxquelles Pierre Boulez a collaboré ( cf. chapitre 7 de mon livre) ,
qu’il n’y avait pas de chef d’orchestre contemporain qui se soit autant
confronté, pendant cette période, aux metteurs en scène d’avant-garde et que
cet état de fait n’était pas le fruit du hasard, mais correspondait à une
volonté de collaborer avec des metteurs en scène ayant une réflexion personnelle et originale. Les implications de Pierre Boulez dans la
direction d’orchestre à l’opéra, se caractérisent par le choix d’œuvres fondamentales du répertoire
lyrique et de metteurs en scène emblématiques.
Il est en effet surprenant que Pierre Boulez, qui a l’habitude de dire ce
qu’il pense, tout en étant connu pour ses propos parfois provocateurs, ait été
solidaire de tous les metteurs en scène avec lesquels il a collaboré, notamment
avec Christoph Schlingensief. Même si Pierre Boulez ne semblait pas convaincu par sa mise
en scène de Parsifal de 2005 à Bayreuth, il ne l’a pas
exprimé dans la presse. C’est
une forme d’éthique en faveur de tout créateur. Chaque œuvre, chaque mise en
scène constitue « une
proposition artistique ». Dans un entretien avec Jean-Jacques
Nattiez, Pierre Boulez explique ainsi : « Et qu’est-ce que le
théâtre ? Le théâtre c’est une proposition à un moment donné, mais qui
n’implique pas un point de vue stylistique. C’est
ça toute la différence. Tandis
que la partition, elle, oblige à adopter un point de vue stylistique. C’est pour ça que je ne m’oppose jamais à un
metteur en scène : il faut qu’il fasse travailler son imagination. »[1] Pierre
Boulez fut, dès sa jeunesse, confronté à l’art théâtral comme directeur
de la musique à la Compagnie Renaud-Barrault de 1946 à 1956, d’où son intérêt
pour la mise en scène.
Concernant la résonnance que la représentation de l’opéra de Leoš Janáček, De la Maison des morts en juin 2007, pouvait susciter concernant la Seconde Guerre mondiale,
je pense qu’il y a une grande différence de perception de cette période en
Hollande et en France. Il y a
peut-être une sensibilité plus exacerbée aux Pays-Bas.
Á propos du passage de mon
livre (chapitre 6) évoquant les chorégraphies du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky par Maurice Béjart et Pina Bausch,
il est clair que celle de Pina Bausch se distingue par son féminisme. Il me semble que le genre très original
(Tanztheater), créé par Pina Bausch ne pouvait qu’intéresser Pierre Boulez,
curieux de tout langage scénique novateur. Il y a, dans la genèse même de sa
collaboration avec Pina Bausch pour Barbe-Bleue de Béla Bartók pour le Festival
d’Aix-en-Provence en 1998, un problème lié au respect de l’intégrité de la
création musicale. En effet, à
propos de son ballet initial, Pierre Boulez expliquait ainsi :
« Évidemment, ce qui me gênait, c’est la façon dont elle tronçonnait la
musique à sa guise, reprenant plusieurs fois le même fragment, avec une
puissance inouïe, certes, mais en recréant un tout autre thème que
l’opéra. »[2] Cette collaboration fut difficile pour
Pina Bausch qui ne fut pas satisfaite du résultat et préférait son ballet créé
en 1977.
Catherine Steinegger
[1] « Wagner, Boulez et la recherche de
soi », entretien de Pierre Boulez avec Jean-Jacques Nattiez, in La Pensée de Pierre Boulez à travers
ses écrits, Goldman Jonathan, Nattiez Jean-Jacques, Nicolas François, Sampzon,
éditions Delatour France, 2010, p.258.
[2] Pierre Boulez, « Barbe-Bleue, Pina Bausch et
moi », Le Nouvel
Observateur, n° 2348, du 5 novembre.